Le 13 septembre, le premier ministre japonais, Kishida Fumio, a procédé à un remaniement de son Cabinet. Il a nommé cinq femmes à des postes ministériels, et c’est ainsi que Mme Kamikawa a pris les commandes de la diplomatie japonaise.
Le changement en a surpris plus d’un, car cette année, le Japon préside les rencontres du G7. Son prédécesseur, Hayashi Yoshimasa, était très actif au cours des derniers mois, et beaucoup considéraient la continuité comme une priorité.
À quelques jours du début de l’Assemblée générale de l’ONU, le ministère des Affaires étrangères s’est empressé de mettre Mme Kamikawa au courant du programme, qui s’annonçait déjà chargé. Le briefing semble avoir été fructueux.
« En cinq jours, j’ai rencontré 16 leaders et ministres des Affaires étrangères, en plus des dirigeants de quatre organisations internationales. J’ai ainsi pu créer des liens personnels », a-t-elle rapporté le 22 septembre, à la fin de cet épisode d’effervescence diplomatique aux États-Unis.
Kamikawa Yoko a 70 ans. C’est une habituée des plus hauts postes du gouvernement, puisqu’elle a déjà été ministre d’État pour l’égalité des sexes et la lutte contre le déclin des naissances, et ministre de la Justice à trois reprises.
Une « Madeleine Albright » japonaise ?
Avant de faire de la politique, Mme Kamikawa a étudié à l’école d’administration publique de l’Université Harvard (John F. Kennedy Graduate School of Government), puis travaillé comme collaboratrice dans l’équipe politique du sénateur américain Max Baucus. Elle explique que cette expérience lui a permis de considérer son pays « d’un point de vue extérieur ».
Mme Kamikawa est connue au sein du Parti libéral démocrate comme une politicienne énergique, et le public a de grandes attentes envers elle pour son mandat au ministère des Affaires étrangères. Un officiel a confié qu’elle pourrait devenir l’équivalent japonais de Madeleine Albright, qui fut la première femme au poste de secrétaire d’État américain.
Juste après son arrivée à New York le 18 septembre, Mme Kamikawa a rencontré ses homologues américain, britannique et brésilien, ainsi que le directeur général de l’Agence internationale de l’énergie atomique, Rafael Grossi.
Le ton de ses échanges avec le secrétaire d’État américain, Antony Blinken, était particulièrement détendu. Les deux se sont même appelés par leur prénom.
Kamikawa Yoko a présidé sa première réunion des ministres des Affaires étrangères du G7 ce soir-là, qui se déroulait pour l’essentiel en anglais.
Dans la déclaration publiée à l’issue de la rencontre, les ministres ont fermement condamné l’invasion russe en Ukraine, et exhorté Moscou à retirer ses troupes immédiatement.
« C’était la première fois que j’assumais le rôle important de présidente, raconte Mme Kamikawa. Mais c’était une occasion très précieuse pour échanger ouvertement. »
Bâtir des relations avec les autres femmes ministres
Le fait que les ministres des Affaires étrangères d’autres membres du G7, à savoir la France, l’Allemagne et le Canada, sont aussi des femmes, n’a pas échappé à la diplomate japonaise : « Je veux tirer parti au maximum de la perspective féminine en matière de politique étrangère », a-t-elle déclaré peu après sa prise de fonction.
Mme Kamikawa et son homologue française, Catherine Colonna, ont discuté de l’égalité des sexes pendant un entretien, le deuxième jour de l’Assemblée générale. « Le Japon a passé des lois, mais la réalité n’est pas encore au niveau. J’ai hâte de travailler avec vous pour encourager la participation des femmes », a affirmé Mme Kamikawa.
Kamikawa Yoko s’intéresse particulièrement aux activités de l’ONU concernant les femmes, la paix et la sécurité (FPS), qui promeuvent la participation constructive des femmes pour maintenir la paix dans le monde.
Elle avait commencé à creuser la question à l’époque où elle était ministre d’État pour l’égalité des sexes en 2007. L’an dernier, elle a été invitée à participer à un colloque sur ce sujet.
Son intervention cette année en tant que ministre des Affaires étrangères a aussi été très applaudie.
Elle a profité de l’occasion pour parler de l’importance de la perspective féminine, non seulement dans la résolution des conflits, mais aussi dans la réponse aux catastrophes.
Son discours a été acclamé. Les autres participants ont souligné que le Japon était enfin entré dans l’arène des FPS.
Maintenant, Mme Kamikawa espère voir le travail FPS influencer le sommet entre le Japon et l’Association des Nations d’Asie du Sud-Est, qui aura lieu en décembre.
Des débuts diplomatiques salués
Il y avait 19 ans que le Japon n’avait pas nommé une femme au poste de ministre des Affaires étrangères. Kawaguchi Yoriko avait exercé ces fonctions dans le gouvernement du premier ministre Koizumi Junichiro de 2002 à 2004.
« Il y a vingt ans, il n’y avait aucune femme ministre des Affaires étrangères dans les pays voisins, comme la Chine et la Corée du Sud, souligne Mme Kawaguchi. Quand je m’y rendais, les gens étaient curieux de me rencontrer. Je pense que c’était à mon avantage. »
Mais les temps ont changé. Mme Kawaguchi félicite la nouvelle ministre d’avoir saisi l’occasion. « J’étais étonnée de voir que la moitié des ministres étrangers qu’elle a rencontrés étaient des femmes. Je pense que c’est un excellent début. »
Le Japon a pourtant encore beaucoup de retard en matière d’égalité des sexes. Le dernier indice mondial d’écart entre les sexes du Forum économique mondial classe le pays 138e sur 146 dans la catégorie « participation politique ».
« Je pense que la nomination de cinq femmes au sein du Cabinet est déjà un grand pas en avant, affirme Mme Kawaguchi. L’important, c’est que ces nominations servent à ouvrir des portes pour avoir plus de femmes en politique. »
Un responsable du gouvernement américain s’est aussi montré élogieux en commentant l’arrivée de Kamikawa Yoko sur la scène internationale : « Malgré le fait qu’elle venait d’entrer en fonctions, elle était bien préparée et a tout géré sans un faux pas. »
D’autres personnalités à Washington disent qu’ils ne la connaissent pas encore assez pour se faire une opinion.
« L’ancien ministre Hayashi et le secrétaire d’État Blinken étaient en très bons termes et avaient développé des liens personnels en partageant leur goût pour la musique. Il reste à découvrir comment construire des relations de confiance avec la ministre Kamikawa. »
La nouvelle cheffe de la diplomatie japonaise semble partager des sentiments similaires. Lors de sa conférence de presse inaugurale le 14 septembre, elle a fait référence à un proverbe chinois signifiant que le chemin à parcourir sera long.