L'Inde se lance dans la course mondiale aux semiconducteurs
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L'Inde se lance dans la course mondiale aux semiconducteurs

    NHK New Delhi Bureau
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    L'Inde investit massivement dans la tentative ambitieuse, aux enjeux considérables, de devenir une puissance mondiale dans le domaine des semiconducteurs. Mais les efforts déployés par le gouvernement pour sevrer le pays des importations et développer une infrastructure de fabrication rencontrent des défis considérables.

    Une nouvelle frontière

    Dans une région reculée de l'État indien du Gujarat, à l'ouest du pays, se dresse un vaste bâtiment qui en dit long sur le plan audacieux du gouvernement central. Ce bâtiment fait partie de la nouvelle cité industrielle de Dholera, un site de 920 kilomètres carrés qui devrait accueillir la première usine de fabrication de semiconducteurs de l'Inde.

    Photo de la cité industrielle de Dholera publiée sur le compte X de Dholera Industrial City Development Limited

    La construction de l'édifice ne fait que commencer, selon un responsable, mais les travaux de plomberie et d'autres infrastructures sous-jacentes ont débuté il y a quelque temps déjà. À proximité, les ouvriers construisent un nouvel aéroport international et une autoroute qui reliera le site aux grandes villes afin de faciliter la livraison des semiconducteurs à l'intérieur du pays et dans le monde entier.

    « Nous sommes convaincus que nous deviendrons rapidement l'un des principaux fabricants en Inde et dans le monde », déclare Hareet Shukla, secrétaire principal du Gouvernement du Gujarat, l'organisation mise en place par le gouvernement central et le gouvernement de l'État pour superviser le projet.

    Hareet Shukla, secrétaire principal, Gouvernement du Gujarat

    Une ambition brûlante

    En décembre 2021, le gouvernement indien a annoncé qu'il consacrait 760 milliards de roupies, soit plus de 9 milliards de dollars, à la construction et au développement d'une industrie de fabrication de puces et d'industries connexes. Il s'agit de l'un des projets les plus coûteux du gouvernement du premier ministre Narendra Modi, qui affirme que la moitié de l'argent sera utilisée pour construire des usines de fabrication de semiconducteurs.

    L'année suivante, lors d'une conférence sur les semiconducteurs, M. Modi a déclaré : « Notre objectif est d'établir la position de l'Inde en tant que partenaire principal dans la chaîne d'approvisionnement mondiale des semiconducteurs ».

    Lors d'une visite aux États-Unis en juin dernier, le dirigeant indien a rencontré le PDG du géant des semi-conducteurs Micron Technology et a convenu d'un accord qui permettra à l'entreprise américaine d'installer une usine de test et d'assemblage de puces d'une valeur de 2,5 milliards de dollars sur le site de Dholera.

    Le premier ministre indien Narendra Modi sur la chaîne YouTube officielle du bureau du premier ministre indien

    Changement d'orientation

    Ce ne sera pas la première usine de la nouvelle ville. Ce projet est géré par le conglomérat minier indien Vedanta Limited, un nouveau venu dans l'industrie des semiconducteurs.

    En 2022, Vedanta a conclu un partenariat avec le fabricant taïwanais d'iPhone Hon Hai Technology Group, connu internationalement sous le nom de Foxconn, pour fabriquer des puces et des panneaux d'affichage en Inde, dans le but de produire 40 000 plaquettes par mois d'ici à 2027.

    Mais en juillet de cette année, Foxconn s'est retiré, invoquant des retards dans l'avancement des travaux. Vedanta continue cependant à aller de l'avant, déclarant récemment à la NHK qu’il avait déjà trouvé un nouveau partenaire.

    Un PDG américain

    L'homme recruté pour diriger le projet de Vedanta dans le domaine des semiconducteurs est le PDG américain David Reed, un homme d'affaires doté d'une grande expérience dans l'industrie des semiconducteurs aux États-Unis et au Japon. Dans une interview accordée à la NHK, M. Reed a fait part de son enthousiasme face à la tâche qui l'attend.

    « J'ai déménagé au Japon dans les années 1990 parce que le Japon était le roi des semiconducteurs », a-t-il déclaré. « Aujourd'hui, c'est probablement au tour de l’Inde d’assumer cette position. Nous aurons nos premiers revenus au cours du premier semestre 2027 ».

    David Reed, directeur de l'activité semiconducteurs de Vedanta

    Le problème du déficit commercial

    L'un des principaux obstacles aux ambitions de l'Inde est son déficit commercial endémique. La balance a été dans le rouge pendant 34 mois consécutifs, un problème qui découle en partie de la forte dépendance de l'Inde à l'égard des importations de pétrole brut et d'autres ressources.

    La faiblesse du secteur manufacturier y contribue également, ce qui signifie que la population est fortement tributaire des importations de biens électriques tels que les smartphones, que possèdent plus de 600 millions de personnes dans le pays.

    Les paiements par smartphone sont largement acceptés par les vendeurs de rue en Inde.

    Bien que les marques chinoises de smartphones, telles que Xiaomi et Oppo, fabriquent des téléphones en Inde, elles doivent toujours importer des composants semiconducteurs essentiels.

    Les experts estiment qu'en créant une industrie nationale de fabrication de puces, le gouvernement peut commencer à renverser la situation.

    « Le marché indien de l'électronique continuant à se développer d'année en année, on s'attend à ce que les importations de semiconducteurs augmentent considérablement », explique Kojima Makoto, professeur émérite à l'Université Takushoku. « Encourager la production nationale est une priorité pour le gouvernement indien ».

    Kojima Makoto , professeur émérite à l'Université Takushoku, est un expert de l'économie indienne.

    Un rêve trop lointain ?

    D'autres experts, comme Minamikawa Akira, directeur de la société britannique d'analyse et de conseil Omdia, s'interrogent sur le réalisme du grand projet indien.

    « L'Inde s'est déjà essayée à la fabrication de semiconducteurs par le passé, mais cela n'a pas été un succès », explique-t-il. « La production de semiconducteurs nécessite une alimentation électrique stable, de l'eau en abondance et une main-d'œuvre hautement qualifiée. La chaîne d'approvisionnement est également importante. Elle ne peut être réalisée par un seul fabricant. Il n'est pas possible de produire des semiconducteurs sans réunir au moins dix fois plus d'entreprises connexes. »

    Minamikawa Akira, principal directeur consultant au sein de la société britannique d'analyse et de conseil Omdia

    L'Inde est la grande économie qui connaît la croissance la plus rapide au monde et, selon les prévisions du Fonds monétaire international, elle devrait éclipser l'Allemagne et le Japon d'ici 2027, devenant ainsi la troisième plus grande économie du monde.

    Les aspirations du gouvernement Modi à faire du pays un fournisseur majeur de semiconducteurs pourraient contribuer de manière significative à cette trajectoire économique. Toutefois, comme le fait remarquer M. Minamikawa, le manque d'expertise en matière de fabrication de précision, ainsi que l'approvisionnement limité en eau et en électricité, des éléments essentiels à la fabrication des puces, demeurent des obstacles majeurs.

    L'ironie pour l'Inde, est que pour surmonter ces limites et devenir plus autonome sur le plan technologique, elle pourrait finalement être contrainte à investir massivement dans des alliances avec le monde extérieur.

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