Des porcelaines brisées créent des ponts entre pays Des porcelaines brisées créent des ponts entre pays
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Des porcelaines brisées créent des ponts entre pays

    NHK World
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    La porcelaine d’Imari dite ko-Imari, ancienne Imari, est réputée pour ses formes raffinées et ses motifs élaborés et éclatants peints à la main. Exportée pendant trois siècles, elle était prisée par la noblesse européenne.

    Cette année, une exposition spéciale de porcelaine ko-Imari a attiré les visiteurs à Arita, ville d’origine de cette céramique, dans le sud-ouest du Japon. Spéciale, car certaines pièces exposées sont incomplètes.

    Elles ont été restaurées par des experts qui ont assemblé des fragments conservés pendant des décennies dans un château autrichien. Comment sont-elle arrivées à cette exposition d’Arita ? Nous suivons leur voyage autour du globe.

    La tragédie du château de Loosdorf

    Le château autrichien de Loosdorf date du moyen âge.

    Le château historique de Loosdorf se trouve dans la campagne au nord de Vienne. Il appartient à la famille Piatti, dont le nom signifie « plats » en italien. Pendant des générations, cette famille a collectionné des porcelaines précieuses venues du monde entier.

    Les tessons conservés dans une salle du château de Loosdorf.

    À la fin de la Seconde Guerre mondiale, les soldats de l’armée soviétique ont saccagé les lieux et détruit la collection. La famille n’a pas pu se résoudre à jeter les débris, mais les a plutôt précieusement gardés, et exposés en mémoire de la sauvagerie de la guerre.

    Verena Piatti
    « Garder les tessons dans une pièce du château-musée de Loosdorf a toujours été pour moi un travail de paix. À mon avis, la forme d’une œuvre d’art peut être détruite, mais pas son idée. L’énergie créative est éternelle. »

    La décision des Piatti les destinait à faire une étonnante rencontre, environ 70 ans plus tard.

    Un signe du destin

    En 2019, la maîtresse de cérémonie du thé, Hoshina Machiko, organisait un événement à Tokyo à la demande de l’ambassade autrichienne. Verena Piatti était invitée. À l’époque, son frère était l’ambassadeur d’Autriche au Japon.

    Hoshina Machiko et Verena Piatti.

    Lors de la cérémonie du thé, Mme Hoshina a entendu parler de la salle des éclats par Verena. Quand elle a vu les photos de la porcelaine détruite, elle n'a pas pu retenir ses larmes.

    Hoshina Machiko
    « C’était une émotion que je n’avais jamais ressentie auparavant, un mélange de colère et de tristesse. En même temps, j’éprouvais un étrange lien de parenté avec Verena et la famille Piatti, parce qu’au Japon aussi, il existe une esthétique du « wabi-sabi », qui donne de la valeur aux choses abîmées. J’ai voulu faire quelque chose pour mettre ces tessons en lumière. »

    Projet de restauration

    Avec la collaboration de la famille Piatti, Hoshina Machiko a lancé un projet de restauration des pièces et tenu une exposition au Japon. Six amies proches l’ont soutenue. La plupart d’entre elles, dont Mme Hoshina, étaient des femmes au foyer expérimentées.

    Hoshina Machiko et ses amies au cours du projet de restauration des porcelaines ko-Imari au château de Loosdorf, en Autriche. (ROIP)

    Son équipe a commencé par la tâche toute simple de rassembler les tessons. Elle a ensuite délégué la restauration à des experts, et s’est occupée de la levée de fonds et de la production de nouvelles pièces à vendre lors de l’exposition.

    Pour une des participantes, Yoshida Yuri, c’est le pouvoir des « femmes au foyer » qui a rendu ce projet possible.

    Yoshida Yuri
    « La quasi-totalité du travail essentiel qui consiste à gérer un foyer est invisible. Comme on partageait toutes les sept cette vision des choses, on était à l’aise en travaillant ensemble. »

    Trois cents ans d’attente

    À la fin du mois de mai, Mme Hoshina et son équipe se sont enfin rendues à Arita à l’occasion de l’exposition.

    La porcelaine ancienne d’Imari était produite à Arita pendant la période Edo, et exportée en Europe par le port voisin de Nagasaki. Les frontières du Japon étaient alors fermées. Nagasaki avait un statut à part et ses portes restaient ouvertes au monde.

    Gabriel Piatti, deuxième à droite.

    Pour fêter le retour de cette porcelaine au pays après 300 ans d’exil, Gabriel, le fils de Verena et propriétaire actuel du château de Loosdorf, a fait le voyage depuis Vienne.

    Une assiette ko-Imari exposée au Musée de la céramique du Kyushu, à Arita.
    Dos de l’assiette.

    L’assiette de la photo fait partie des pièces incontournables de l’exposition. Sur l’endroit, elle affiche toute l’élégance typique de la porcelaine ancienne d’Imari, mais le dos évoque une autre histoire.

    À la demande de la famille Piatti, les restaurateurs ont recollé les tessons qu’ils avaient sans combler les trous, pour ne pas effacer la guerre.

    Le directeur du musée, Suzuta Yukio, est heureux que la famille ait conservé ces fragments.

    Suzuta Yukio, directeur du Musée de la céramique du Kyushu.

    Suzuta Yukio
    « On ne pense pas un instant au fait que la porcelaine est revenue endommagée. Au contraire, on est émerveillé et fier que des personnes d’un pays si lointain aient recherché et chéri ces pièces pendant si longtemps. »

    Des mains tendues au-dessus des frontières

    Hoshina Machiko et Gabriel Piatti en compagnie d’élèves de la région, lors d’une conférence sur la collection de porcelaine ko-Imari du château de Loosdorf.

    Gabriel Piatti
    « On peut dire que la guerre n’a pas de sens et qu’elle ne conduit qu’à la destruction. Ce projet montre l’importance d’enjamber les frontières et de travailler ensemble. »

    Les espoirs de paix de Gabriel semblaient avoir trouvé écho auprès des jeunes présents à la conférence.

    Miura Akane
    « Voir toute cette porcelaine brisée a dû leur crever le cœur. Mais j’ai trouvé impressionnant que cette équipe ait tout restauré et qu’elle partage son travail avec le monde. »

    Nakajima Fumika
    « Je veux travailler pour protéger nos héritages culturels, qui sont encore aujourd’hui détruits par les guerres et les catastrophes. »

    Le retour du japonisme

    En septembre, les pièces restaurées sont reparties vers l’Autriche, où elles ont retrouvé la collection « ancienne, mais toute nouvelle » du château de Loosdorf.

    Vienne célèbrera l’année prochaine le 150e anniversaire de l’Exposition universelle de Vienne en 1873. À l’époque, elle avait permis de faire connaître la céramique japonaise en Europe, et avait contribué à un nouvel essor culturel. Pour marquer cet anniversaire, Hoshina Machiko espère organiser en Europe un événement qui présente la culture japonaise.

    Hoshina Machiko espère organiser une manifestation sur la culture japonaise, en Europe.

    Hoshina Machiko
    « Les céramiques sont comme l’herbe du printemps qui pousse sous la neige. Elles attendent que quelqu’un les trouve. Ce projet a été difficile, mais j’ai réussi à aboutir parce que je crois que si j’en ai le désir, j’ai la capacité de le faire. En tant que maîtresse de la cérémonie du thé, je dois continuer de transmettre cette histoire. »

    Au cœur d’une nouvelle époque de conflit, le sens de ce récit de porcelaines imparfaites résonne avec d’autant plus de force comme un appel à la paix et à la coopération au-delà des frontières.