Xanana Gusmao revient sur les 20 ans d'indépendance du Timor-Leste
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Xanana Gusmao revient sur les 20 ans d'indépendance du Timor-Leste

    NHK World
    Correspondent
    La nation insulaire d'Asie du Sud-Est du Timor-Leste, anciennement connue sous le nom de Timor oriental, célébrera ses 20 ans d'indépendance en mai. L'ancien président qui a dirigé la nation à ses débuts s’est entretenu avec NHK World au sujet de ces premières étapes difficiles et de ses espoirs pour l'avenir.

    Xanana Gusmao, 75 ans, a passé plus de deux décennies à lutter pour libérer le Timor-Leste du contrôle de l'Indonésie et il est devenu le premier président du pays après l'indépendance. Il était toujours au pouvoir en 2006, lorsqu'un conflit militaire a déclenché des troubles et des violences à l'échelle nationale. Ceux-ci ont duré trois ans.

    Les points de vue de M. Gusmao sur la résolution des conflits se sont avérés essentiels pour rétablir la paix dans le pays.

    L'interview suivante a été réduite par souci de concision et de clarté.

    Vous avez lutté pour l'indépendance pendant 24 ans. Qu'est-ce qui vous a motivé à continuer si longtemps ?

    La volonté de nos ancêtres. Pendant 500 ans, nous avons été sous domination portugaise. Mais notre peuple ne dormait pas. Il a mené de nombreuses rébellions. Sans accepter la domination des étrangers. C'est ce qui nous a ému.

    Comment évalueriez-vous les progrès de votre pays depuis son indépendance ?

    Nous sommes seulement devenus indépendants en 2002. En mai prochain, cela fera 20 ans. Il faut comprendre que nous nous sommes battus pendant 24 ans, mais nous n’étions pas préparés pour l'étape de l'indépendance. Sans expérience, nous avons commencé. Puis en 2006, il y a eu un cycle de crise jusqu'en 2009. Nous l'avons résolu. Il n’y a plus de conflits.

    Quelle est la plus grande réussite de ces 20 dernières années ?

    Après deux, trois, quatre ans de conflit interne, lorsque nous nous entretuions, nous brûlions des maisons, nous avions des milliers de déplacés internes, nous étions divisés en tant que pays. La meilleure chose que nous réalisons maintenant, c'est que nous sommes unis. Nous n'avons plus de conflits. Nous ne nous battons pas. C'est ce dont nous pouvons dire que nous sommes fiers.

    Pensez-vous que votre peuple est maintenant heureux ?

    Heureux et pas heureux. Heureux parce que nous sommes indépendants, mais notre peuple comprend très bien que l'indépendance ne signifie pas le paradis. Un drapeau ne signifie pas avoir une constitution, un président, un parlement, un gouvernement. On ne peut pas faire de miracles et tout faire en un an, deux ans. Mais nous sentons que nous (pouvons) participer à ce processus de bâtir ce pays.

    Les habitants de la capitale du Timor-Leste célèbrent l'indépendance en mai 2002.

    En tant qu'ancien commandant de guérilla, pensez-vous que le Timor-Leste est devenu aujourd'hui l'État idéaliste dont vous rêviez autrefois ?

    C’est une chose est de rêver. Une autre consiste à mettre en pratique votre rêve. Nous apprenons des pays occidentaux qu’il y a beaucoup, beaucoup de sortes de partis politiques, de la droite au centre et jusqu’à gauche. C'est parce qu'ils sont déjà bien établis. Nous ne le sommes pas encore.

    Mais vous avez organisé plusieurs élections pacifiques. Comment évalueriez-vous la démocratie que vous avez dans votre pays ?

    Parfois, dans d'autres pays... les tensions peuvent se transformer en conflits. Et parce que nous avons l'expérience de ces 24 années, et cette expérience de violence cyclique pendant l'indépendance, nous avons dit non. Le moment viendra. Si nous croyons tous aux valeurs démocratiques, les gens feront le bon choix et nous pourrons établir [notre nation].

    Plus de 40 % de la population vit encore en dessous du seuil de pauvreté. Pourquoi est-ce que cela s'avère un problème si difficile à résoudre ?

    Le Japon ne s'est pas construit en 10 ou 20 ans. L'Europe ne s'est pas construite en 10 ou 20 ans. Oui, 40 % de nos habitants sont pauvres. Nous ne pouvons pas, comme par miracle, dire : « C’est fini ! » Nous réduisons donc. 50 %, 20 %, 10 %, jusqu'à ce que tout le monde y soit. J'ai une vision avec mon parti, mais parce que nous sommes un parti de l'opposition, nous ne pouvons pas [réaliser cette vision]. La démocratie est la démocratie. D'autres partis ont été élus, d'accord. Maintenant, nous attendons.

    Un autre problème pour le Timor-Leste est que 90 % de vos revenus proviennent de ressources naturelles, comme le pétrole et le gaz. Pourquoi n'avez-vous pas réussi à développer de nouvelles industries ?

    Nous ne sommes pas excellents, mais nous ne sommes pas si mauvais. Nous sommes devenus indépendants en 2002. Certains pays étaient indépendants en 1962, 1974, 1970, 1950. Ils sont dans une situation pire que la nôtre. Ce que vous avez dit est vrai. Mais dans un nouveau pays, pour commencer à se développer, il faut d’abord avoir une infrastructure de base. L'infrastructure de base signifie l'électricité, les routes, l'eau, les télécommunications. Vous ne pouvez pas tout faire à la fois. Étape par étape.

    Dites-vous donc que ce n'est qu'une question de temps ?

    Notre projet a commencé en 2011. En 2011, nous l'avons approuvé, et en 2012 nous l’avons entamé. Cela fait neuf ans. Nous avions un plan sur 20 ans. Maintenant, ne me demandez pas de faire des miracles.

    Environ 40 % de la population du Timor-Leste vit dans la pauvreté, selon la Banque mondiale.

    Parlons de l'aide et des investissements que vous obtenez de l'étranger. Comment évaluez-vous le soutien du Japon ?

    Vraiment, vraiment excellent. Un très bon ami. Très honnête. Nous pensons véritablement qu'il y a de la solidarité.

    Je tiens à vous demander, qu'en est-il du soutien que vous obtenez de la Chine ?

    Je ne suis pas ici pour comparer les pays. Nous recevons de l'aide, parfois d'ici, parfois de là-bas.

    Mais pensez-vous que le Timor-Leste devrait développer une relation avec la Chine ?

    Notre politique est : pas d'alliés, pas d'ennemis, tous des amis.

    Pensez-vous que c'est réalisable ?

    Oui. Ce n'est pas un principe. C'est notre politique. Pas d'alliés, pas d'ennemis, tous des amis. Si nous étions grands comme l'Australie, oui, nous aurions des alliés. Ou comme l'Indonésie. Oui. Mais nous sommes si petits. Nous sommes au tout début de notre développement. Pourquoi [voudriez-vous] choisir d'avoir un tel allié ou un tel ennemi ?

    Mais un allié pourrait offrir la sécurité.

    Pour quelle raison ? Nous avons d’autres problèmes dans notre pays que d'être l'allié de tel [pays] pour combattre tel [pays]. 40 % de notre peuple vit dans la pauvreté, la misère, sans nourriture, sans abri. Donc si quelqu'un veut [aider], oui, s'il vous plaît. Pas d'alliés, pas d'ennemis, tous des amis.

    Le président américain Joe Biden a proposé le Build Back Better World (« Reconstruire un monde meilleur »). Il dit que c'est un partenariat avec des pays qui partagent des valeurs démocratiques.

    C'est loin de nous. Je pense qu'ils l’utiliseront pour construire des infrastructures en Afghanistan.

    Alors ça ne vous intéresse pas ?

    Nous n'avons pas d'argent pour les rembourser.

    Pensez-vous qu'ils veulent que vous les remboursiez ?

    Je ne sais pas. Mais la première réaction est que nous n’aurons pas d'argent pour les rembourser. Si vous savez que vous n'avez pas d'argent pour rembourser, ne demandez pas. J'espère qu'avec autant de milliards, ils pourront construire des infrastructures en Afghanistan.

    Joe Biden a dit que c'était pour les pays qui partagent des valeurs démocratiques, alors j'ai pensé que cela pourrait s'appliquer…

    Il y en a tellement, chaque année, qui nous promettent : « Oui, vous pouvez obtenir des millions, et cetera. » Nous n'avons jamais obtenu [rien], à cause de la « démocratie et des droits de l'homme. » Je suis allé au Forum de la démocratie de Bali et j’ai dénoncé cela. J'ai déclaré : 'Ne leur faites pas confiance. Ils avaient promis des millions et des millions et ils n’ont jamais donné. Parce que quand nous en avons besoin, nous demandons, [et ils répondent] « Oh, les droits de l'homme. Oh, la démocratie. »

    Un grand nombre de pays à travers le monde ont du mal à trouver comment se positionner entre les États-Unis et la Chine, qui sont de plus en plus en désaccord.

    En tant que PMA, les pays les moins avancés, nous avons besoin de tout le monde. C'est pourquoi pour moi ce n'est pas une question difficile. Nous avons eu des problèmes avec l'Indonésie. Nous nous sommes réconciliés. Nous sommes amis. Nous avons eu des problèmes avec l'Australie. Nous les avons résolus. Maintenant nous sommes amis.

    Les entreprises chinoises construisent des routes et investissent massivement dans des projets d'infrastructure au Timor-Leste.

    Parlons maintenant de l'Indonésie. Comment est cette relation ?

    Très bonne. Nous sommes de bons amis. Nous avons là-bas des Timorais qui étudient et travaillent. Nous avons aussi des Indonésiens chez nous. Une très bonne relation.

    Mais vous vous êtes battus pendant tant d'années. Comment était-il possible de réparer ces liens ?

    Nous avons appris de nombreux pays. D'Israël et de Palestine, et de beaucoup, beaucoup, beaucoup de pays. Et nous avons décidé que le passé est le passé. Maintenant, nous devons travailler pour l'avenir. C'est pourquoi le processus de réconciliation était très important pour nous. Parce que dans beaucoup, beaucoup de pays après une guerre, il y a encore des tensions, il y a encore des accusations.

    Changeant de sujet, le changement climatique nuit au Timor-Leste. Vous avez subi un cyclone mortel et des pluies torrentielles en avril. Comment les autres nations devraient-elles aider ?

    Vous pouvez demander aux météorologues. Nous ne produisons aucune émission pour provoquer cela. Nous subissons les conséquences des émissions produites par des pays comme l'Australie, l'Indonésie, etc. parce que nous sommes sous-développés. C'est pourquoi nous faisons appel à de multiples reprises, mais notre voix est si petite que personne n'écoute.

    Les pays qui polluent la planète, créant ainsi des problèmes pour ces petites îles, doivent compenser. Et de nombreux pays ont dit : « Oh, bla bla bla, ils n'aiment pas ça. » Que puis-je dire ? L'ONU, d'autres organisations, de grandes organisations, peuvent commencer à faire le travail adéquat.

    En avril 2021, un cyclone tropical a fait des dizaines de morts et a détruit des routes à Dili.

    Alors, quel avenir voyez-vous pour votre pays ?

    Je suis assez âgé pour déclarer, « Vous, la jeune génération, travaillez et développez le pays. »

    Mais la jeune génération de votre pays ne connaît pas le combat que votre peuple a traversé.

    Ils sont au courant. Aucune famille n'était en dehors de la guerre. Tout le monde le sait. Parce que nous sommes un très petit pays.